Enfants

Garde alternée ? Hébergement égalitaire ?

Un peu de vocabulaire

Avant d’aborder la question de l’hébergement des enfants dont les parents sont séparés, il est utile de se mettre d’accord sur le vocabulaire à utiliser.

L’expression « garde alternée » est communément employée pour désigner la situation dans laquelle les enfants vivent une semaine chez maman, une semaine chez papa.

Pour viser cette même situation, la loi ne parle pas de « garde alternée » mais utilise l’expression « hébergement égalitaire ». Il s’agit d’une expression plus appropriée puisqu’elle prend mieux en compte l’égalité des deux parents quant à la durée de l’hébergement de leurs enfants. Nous utiliserons dès lors l’expression « hébergement égalitaire ».

Petit rappel

Jusqu’en 2006, aucune disposition légale ne réglementait la question de l’hébergement des enfants par leurs parents séparés. En pratique, le Juge imposait souvent l’hébergement que l’on appelait « classique » : les enfants étaient hébergés par leur mère à titre principal tandis que leur père les hébergeait à titre secondaire un week-end sur deux ainsi que la moitié des congés scolaires. Il s’agissait d’un cas rencontré très fréquemment dans la pratique bien qu’il ne correspondait à aucune règle légale puisque le législateur était resté muet jusque-là.

Certaines mères s’en réjouissaient tandis que d’autres auraient voulu compter sur plus d’investissement de la part du père.

Certains pères s’en satisfaisaient. Mais de nombreux papas désiraient pouvoir s’investir davantage dans l’éducation quotidienne de leurs enfants et, en conséquence, demandaient de pouvoir héberger leur progéniture pendant une durée égale à celle dont la maman bénéficiait.

C’est pour faire droit à cette demande qu’est entrée en vigueur la loi du 18 juillet 2006 tendant à privilégier l’hébergement égalitaire des enfants dont les parents sont séparés.

Le modèle : l’hébergement égalitaire

La loi du 18 juillet 2006 a notamment pour objectif d’instaurer, en règle générale, l’hébergement des enfants pendant une durée égale par leurs deux parents. Il s’agit de proposer un modèle au Juge qui pourra toutefois s’écarter de cette règle lorsque certaines circonstances exceptionnelles justifient le choix d’un autre type d’hébergement.

Les circonstances exceptionnelles

Examinons ensemble la liste (non exhaustive) des circonstances exceptionnelles qui permettent de déroger à l’hébergement égalitaire :

  • L’éloignement géographique des parents
  • L’incompatibilité entre l’horaire professionnel d’un des parents et l’horaire scolaire de l’enfant
  • Le désintérêt manifeste d’un des parents pour l’enfant pendant la vie commune ou pendant la séparation
  • Le jeune âge de l’enfant
  • Le choix manifesté par l’enfant lors de son éventuelle audition par le Juge
  • La volonté de garder ensemble frères et soeurs
  • Les problèmes matériels d’hébergement (par exemple le manque de place)
  • Le manque d’aptitudes éducatives
  • Le besoin de stabilité de l’enfant
  • La différence trop importante de mode éducatif ou de mode de vie
  • La mauvaise communication entre les parents
  • Les soucis de santé d’un des parents qui empêchent la prise en charge quotidienne et effective de l’enfant

Revoyons en détail certaines de ces circonstances exceptionnelles qui permettent de déroger à la règle de l’hébergement égalitaire :

L’incompatibilité entre l’horaire professionnel d’un des parents et l’horaire scolaire de l’enfant

Il peut arriver qu’un des parents ne soit pas suffisamment disponible pour héberger ses enfants une semaine sur deux. Il est toutefois important de ne pas sanctionner d’office le parent qui a une activité professionnelle. Il sera intéressant de vérifier si le parent indisponible peut ou non obtenir de son employeur certaines facilités qui lui permettront de pouvoir assurer de manière satisfaisante pour les enfants leur hébergement une semaine sur deux.

La mauvaise communication entre les parents

En cas de relations particulièrement conflictuelles entre les parents, le Juge peut s’écarter de la règle de l’hébergement égalitaire s’il constate que les parents sont en conflit au point qu’aucun dialogue entre eux n’est envisageable. Il ne peut toutefois pas être question de récompenser ainsi le parent le plus belliqueux qui, grâce à la guerre permanente qu’il entretient, obtiendrait l’hébergement principal des enfants aux dépens de l’autre parent. Dans un arrêt du 29 mars 2004 (Rev. trim. dr. fam., 2005, p. 169), la Cour d’Appel de Liège a clairement précisé que, même si l’hébergement égalitaire nécessite un minimum de communication entre les parents, il ne peut être question de s’écarter systématiquement de l’hébergement égalitaire « parce qu’existent des incompréhensions ou un manque provisoire de dialogue dus à des tensions passagères ou une mauvaise volonté précisément destinée à éviter la mise en place d’un tel hébergement ».

De même, le Juge sera attentif à ne pas s’écarter de la règle de l’hébergement égalitaire lorsqu’il constatera que le parent qui revendique un autre type d’hébergement est en réalité motivé par le maintien d’une relation fusionnelle avec ses enfants. En effet, il ne faudrait pas que le Juge prenne une décision qui renforce tant ce caractère fusionnel que le déni de l’existence de l’autre parent.

Le besoin de stabilité de l’enfant

Le Juge pourra tenir compte du besoin de stabilité de l’enfant pour déroger à la règle de l’hébergement égalitaire. Il veillera en effet à ne pas imposer des modifications trop importantes relativement au cadre de vie alors que la séparation des parents a déjà pu entraîner d’importants bouleversements. Dans la même optique, le Juge pourra tenir compte de la manière dont l’hébergement a été préalablement exercé par les parents depuis leur séparation, surtout si un accord avait été dégagé entre eux à ce sujet.

Le jeune âge de l’enfant

De plus en plus de divorces surviennent après la naissance d’un enfant. Peut-on raisonnablement envisager l’hébergement égalitaire d’un bébé par son père et sa mère ?
Ce n’est pas nécessairement la meilleure solution d’après de nombreux psychologues qui estiment que la séparation, une semaine sur deux, du bébé et de sa maman peut provoquer un sentiment d’angoisse et d’insécurité. En effet, le bébé serait ainsi privé une semaine sur deux de sa figure d’attachement (voix, odeur, …). On peut certes objecter que la figure d’attachement pourrait être celle du papa. Nous devons cependant constater que nous vivons dans une société dans laquelle c’est la maman qui s’occupe en priorité de son bébé. Il va cependant de soi que l’hébergement alterné pourra être (progressivement) mis en place avec l’âge grandissant de l’enfant.

D’accord ? – Pas d’accord ?

Insistons sur le fait que le meilleur choix pour l’enfant est certainement celui qui est effectué de commun accord par les deux parents. En effet, lorsque les deux parents sont d’accord sur un choix d’hébergement, qu’il soit égalitaire ou non, il sera en principe homologué par le Juge. De plus et surtout, si les deux parents ont pu se mettre d’accord sur le choix d’hébergement, la solution ainsi choisie sera mieux appliquée en pratique. Ce n’est pas toujours le cas à l’égard d’un choix d’hébergement imposé par le Juge à l’issue d’un débat souvent houleux. Dans ce cas, la décision du Juge est souvent boycottée par le parent qui n’a pas obtenu gain de cause.

Ceci dit, il n’est pas toujours possible de se mettre d’accord. Il arrive fréquemment qu’un des parents (souvent la mère) désire déroger à la règle de l’hébergement égalitaire en invoquant des circonstances exceptionnelles qui, d’après ce parent, justifieraient la mise en place d’un autre choix d’hébergement. L’autre parent a souvent un avis inverse et désire ardemment que la règle de l’hébergement égalitaire soit respectée. Dans ce cas, nous vous conseillons vivement de faire appel à un avocat afin qu’il puisse vous aider à défendre votre point de vue. Sa connaissance de la matière et des habitudes du Juge qui devra trancher pourra vous aider à obtenir gain de cause relativement à une décision aussi importante que celle de savoir qui va pouvoir héberger vos enfants (sans parler des conséquences financières que cette décision peut entraîner).

Contributions alimentaires

Même si ce n’est pas l’objet de la présente rubrique, abordons brièvement la question des contributions alimentaires (montants dus par un parent à l’autre en faveur des enfants) en cas d’hébergement égalitaire. Contrairement à ce que certains pourraient croire, l’hébergement égalitaire des enfants n’entraîne pas nécessairement l’absence de contributions alimentaires. Pour être clair, prenons l’exemple extrême d’un parent qui ne bénéficierait d’aucun revenu tandis que l’autre parent gagnerait confortablement sa vie. Dans de cas, il ne peut être question que le parent bien rémunéré ne contribue pas à l’entretien, l’éducation et la formation de ses enfants pendant que ceux-ci sont hébergés une semaine sur deux par l’autre parent. Parfois, l’attribution des allocations familiales au parent sans revenu permet de compenser la différence de revenus. Souvent, le paiement de contributions alimentaires sera malgré tout nécessaire. Il y aura toutefois lieu de tenir compte du fait que le parent le mieux rémunéré assume déjà en nature ses obligations alimentaires en hébergeant ses enfants une semaine sur deux.

Application à tous les parents séparés

Pour terminer, notons que la loi du 18 juillet 2006 (et son application en justice) ne fait pas de distinction entre les parents mariés et ceux qui ne le sont plus et ceux qui ne l’ont jamais été. Elle s’applique à tous les parents séparés.